Engagé volontaire à trente ans, Piero Jahier rejoint, en février
1916, au coeur des Dolomites, le 7e Régiment alpin. Il y est chargé
de l'instruction des recrues - des montagnards de la région,
pauvres souvent, pour la plupart pères de famille comme lui.
Pendant quatre mois, il leur apprendra les rudiments de la vie
militaire ; mais, surtout, il tentera de leur inculquer le sens de la
«patrie», cette Italie si jeune qui ne leur a encore rien donné et
les somme pourtant déjà de se sacrifier pour elle.
De cette expérience naît Avec les alpins, publié dès 1918 et qui
n'avait jamais été traduit en français. Un journal de guerre ? Des
mémoires plutôt, d'une guerre sans combats ni tranchées puisqu'il
n'est jamais question ici des premières lignes. Au début, l'auteur
voit dans le conflit l'occasion de s'identifier au peuple paysan, une
humanité simple, franche et pure. Mais peu à peu, alors qu'il avait
soutenu dès 1914 le courant belliciste, il en vient à douter : est-il
vraiment juste d'envoyer à la mort ces humbles parmi les
humbles ? Tandis qu'au front se déroule un interminable massacre,
dans les villes certains trafiquent et s'enrichissent : l'état-major,
indifférent, ordonne l'enrôlement d'une classe après l'autre ; les
hôpitaux recueillent les restes des corps mutilés. Jahier compatit,
souffre, mais ne va pas jusqu'à la protestation ou la révolte d'un
Giono rescapé de Verdun. Sa détresse trouve un soulagement dans
le spectacle de la sérénité résignée, obéissante des alpins.
Comme Apollinaire, Piero Jahier fait entendre la disharmonie
de la guerre moderne : Avec les alpins entremêle poésie et prose,
déclamations et prières, récits et litanies d'une brûlante ferveur
pour chanter le destin de ces vies broyées :
Mais au soir, la journée finie,
traversant les cours plongées dans la pénombre
c'est moi qui, au garde-à-vous, raide,
la main au chapeau
tous et chacun
pour cette nuit et cette vie
vous salue, ô mes soldats.