«Car Deauville a ses rites, plus que toute autre
plage : elle est asservie par le calendrier des
courses, par la mode et par les «baigneurs»,
pour employer un terme désuet qui est, en plus,
un non-sens. Deauville a beau ouvrir à Pâques et
à la Pentecôte, durer jusqu'à fin septembre et
même, parfois, jusqu'en octobre, la foule suit
les fleurs, si j'ose dire, en arrivant la veille du
quatorze juillet en petit nombre, s'augmentant
rapidement jusqu'au premier août pour
atteindre son maximum le quinze, et partant
d'un seul coup le lendemain du Grand Prix,
comme si un Vésuve imaginaire devait anéantir
sur l'heure cette Pompéi moderne. [...]
Moi, quand je vais à Deauville - et j'y vais
tous les ans depuis que Deauville existe (j'entends
: depuis 1912) - je prends le train ; j'aime
mieux ça. D'ailleurs je n'ai pas de voiture.
Donc, chère lectrice, supposons que nous
partions pour Deauville ensemble ; vous êtes
charmante, bien entendu, mince, grande, et
vous seriez brune si vous aviez encore les cheveux
longs. Je vous ai rencontrée hier soir, c'est-à-dire
ce matin, à trois heures ou quatre heures,
chez Florence ou à Casanova ; vous êtes probablement
américaine, peut-être française, qui sait ?
Votre premier mari, le vieux, est mort ; votre
second mari, vous l'avez ruiné, puis vous avez
divorcé ; votre troisième mari est en Italie avec
votre meilleure amie ; le monsieur d'avant-hier,
vous l'avez oublié ; le gigolo d'hier dort encore ;
nous sommes le vingt-neuf juillet, je suis riche
pour au moins deux jours ; prenons un train
bleu qui nous fera voir la vie en rose...»