Les écrits autobiographiques du Père jésuite Jean-Joseph Surin sont
d'une importance capitale pour qui souhaite approcher la culture
mystique et la pensée démonologique du XVIIe siècle français. Ils
constituent une voie d'accès privilégiée à l'un des événements les
plus retentissants du règne de Louis XIII : l'affaire des possessions
de Loudun (1632-1638) à laquelle Surin, accompagné de plusieurs
de ses coreligionnaires, prit part en tant qu'exorciste. Un combat
spirituel qui le mena pourtant aux confins de la folie : peu après son
arrivée à Loudun, en effet, Surin acquiert la conviction que le diable
s'est «imprimé» dans «les pensées secrètes [de son] coeur». S'ensuit
alors un «temps de grandes ténèbres» qui empêchera le jésuite de
parler et d'écrire durant près d'une quinzaine d'années, malgré de
brefs éclairs de lucidité. Surin connaîtra cependant une rémission en
1654, date à partir de laquelle il rédige une oeuvre abondante, entièrement
tournée vers la fusion extatique en Dieu. Les deux ouvrages
que nous présentons dans une nouvelle édition forment le récit
rétrospectif et exemplaire - au sens rhétorique du terme - d'une
délivrance. Surtout, ils constituent un témoignage d'une remarquable
précision sur les territoires de l'irrationnel dans lesquels
s'énonce une conscience en proie au plus grand désarroi spirituel,
avant de recouvrer le «sublime état de la grâce». Si elle est d'abord
effusion devant les grandeurs célestes, l'oeuvre de Surin relève
également de l'exercice du jugement, de la prédication, de l'argumentaire
polémique. Elle se situe à la croisée de plusieurs déterminations
- théologiques, épistémiques, institutionnelles - qui
innervent de plain-pied les modalités discursives du dessaisissement
de soi, qu'il soit placé sous l'emprise du diabolique ou du divin.