Entre le 23 et le 29 octobre 1920, le poète Rainer Maria Rilke,
alors âgé de quarante-cinq ans, séjourne seul à Paris, à l'hôtel
Foyot, face au jardin du Luxembourg. Six journées vécues dans la plus
parfaite clandestinité, où semble s'établir un accord inespéré entre
le lieu, le moment, la disposition du coeur et de l'esprit.
Pendant six jours, le ciel reste d'un bleu limpide, comme si rien
ne devait entraver les retrouvailles de l'auteur des Carnets de Malte
Laurids Brigge avec sa ville, qu'il a quittée six ans plus tôt. Paris lui
avait offert Rodin, Verhaeren et Gide, et lui offre aujourd'hui,
après la fracture de la guerre, la permission de «circuler librement
à l'intérieur de sa conscience». Paris n'est plus que «points de
jonction» entre aujourd'hui et autrefois, entre ici et là-bas,
Saint-Pétersbourg, Rome, Venise, Worpswede, Berlin... Et la vie
apparaît soudain comme une succession de «correspondances
sublimes».
En cet automne miraculeux, Rilke est un homme amoureux. L'aimée,
Baladine Klossowska, baptisée Merline, est restée à Genève. Mais
Rilke est surtout un poète en attente. En attente de cette solitude
qui permettra peut-être le jaillissement de ses Élégies, commencées six
ans plus tôt au château de Duino.