Toute sa vie, Proudhon fut hanté par la figure de Jésus. Les allusions
au Nazaréen, fréquentes dans sa correspondance et dans ses Carnets,
sont présentes jusque dans ses oeuvres consacrées aux questions économiques,
sociales et politiques.
Mais on rencontre surtout cette attention à Jésus dans beaucoup de
ses écrits publiés ou encore inédits. Dès 1839, alors qu'il a trente
ans, Proudhon annote les épreuves d'une bible qu'il corrigeait pour
le compte d'un imprimeur à Besançon. Il continuera d'y déposer ses
remarques jusqu'à ses derniers jours. Il écrira que ses «vrais maîtres»
furent «la Bible d'abord, Adam Smith ensuite, et enfin Hegel».
On trouve de longs développements sur Jésus dans les oeuvres éditées
avant sa mort, en particulier dans De la justice dans la Révolution
et dans l'Église, et dans les ouvrages ébauchés qui ne furent
publiés qu'après son décès, en particulier Jésus et les Origines du
christianisme. Ces textes - parfois des brouillons - présentent des
variations considérables : on y retrouve la vitalité de sa pensée et de
son écriture.
Critique de Strauss et de Renan, Proudhon présente une figure de
Jésus très originale dans l'éventail des Jésus du XIXe siècle. Il a formé
le néologisme «messianose», par analogie avec «apothéose», pour
désigner la fabrication sociale du Messie : dans la palette des messianismes,
Jésus selon Proudhon présente un cas extrême car il est fait
Messie parce qu'il était un anti-Messie.
L'étude de l'ensemble de ces textes, cités dans cet ouvrage, fait
découvrir que Proudhon fut un pionnier en sociologie des religions,
en même temps qu'un exégète, un historien et un philosophe de
l'histoire. Étrangement, les études sur les positions de Proudhon par
rapport à Dieu et à la religion ont donné peu de place à la présence
de Jésus dans son oeuvre. Ce livre voudrait combler cette lacune.