Marx est mort deux fois. D'abord le 14 mars 1883, ensuite un siècle
plus tard, victime de ses disciples qui ont couvert de son nom la plus
navrante des utopies.
Le premier Marx, redécouvert ici, plein de sève et d'ardeur, est un
travailleur infatigable, ami d'Engels, époux très aimant de l'aristocrate
Jenny von Westphalen et affectionné aux enfants. Profondément
russophobe et américanophile, admirateur critique du libéralisme et
partisan du libre-échange, ce polyglotte balança longtemps entre la
France et l'Allemagne, avant de choisir l'Angleterre. Juif honteux et
Allemand désabusé, il s'acharna contre la culture philosophique dont
il était pétri. Les révolutions de 1848 et de la Commune lui inspirèrent
davantage de méfiance et de sarcasmes que d'éloges. Formidable écrivain,
orateur médiocre, cet Européen avant la lettre, homme de cabinet,
péremptoire et ignorant du monde qui l'entoure, a mis son immense
culture et son puissant tempérament au service d'une oeuvre au total
inaboutie, et d'une cause qui l'a dépassé.
Voici un Marx enfin décapé et dépoussiéré, sans hostilité mais sans
complaisance.