Sagesse d'un métier
Et si la pratique d'un métier était aussi un parcours initiatique,
un chemin vers la connaissance de soi et du monde ?
Il y a en Louisiane une sorte d'autoroute qui traverse sur pilotis
le lac Ponchartrain, plus de quarante kilomètres en ligne droite
au-dessus de Peau. Tôt le matin, tard le soir, c'est une destination
aller et retour, vers un lieu de tournage ; trente minutes à cent
à l'heure. Et la première question du jour se pose en regardant
la lumière et le ciel se reflétant sur l'eau, « comment, de quelle
manière, filmer ce paysage ? Où mettre la caméra, quel mouvement lui donner, où placer le point de fuite, la ligne d'horizon,
quel filtre, quel objectif utiliser ? Comment décrire ce qu'on ne
peut encore voir, comme la rive opposée cachée par l'arc de
la terre, et qui fait que ce pont sur l'eau s'étire à l'infini ? ».
Toutes ces questions sont étrangères au film, à la journée de
travail qui commence, mais font partie d'une pratique quotidienne, souterraine et semi-consciente, pratique d'un « rendre
compte » des impressions fugitives que sont ces bribes de paysages perçues en chemin. Exercice qui consiste à voir les choses
à l'intérieur d'un rectangle, à évaluer des contrastes, des rapports de couleur, des accords et des ruptures.
Avant tout, le chef opérateur est un archiviste.