Le bibliomane abhorre la censure, mais il chérit le censeur et ses
paradoxes, à qui il doit sa collection de livres interdits comme les
plaisirs pervers qu'il y savoure. Les plus grands censeurs se sont
révélés être de grands obsédés. Ils ont pris soin non seulement
de mettre en fiches, mais de rassembler et de conserver l'objet
de leur fureur. Et même, d'organiser savamment cette étrange
collectionnite à l'Enfer de la Bibliothèque nationale, à la
Bibliothèque du Vatican, au Private Case de la British Library, à la
réserve de Saint-Pétersbourg, etc. Les vrais pornographes, les
factieux, les rebelles, les anticléricaux ont vite appris les vertus de
la clandestinité : les livres qu'ils ont fait imprimer sont conçus
pour dérouter les autorités, prises en la personne de la
maréchaussée.
Anecdotes et facéties érudites à l'appui, l'auteur narre le singulier
destin de grands iconoclastes, tel qu'Isidore Lisieux, prêtre
défroqué devenu éditeur de curiosa. Enfin, il n'ignore pas la
censure contemporaine et évoque la condamnation des personnages,
l'agitation des ligues de vertu et l'autocensure dont il est
lui-même l'instrument.
Dans Le bonheur de vivre en Enfer, Emmanuel Pierrat privilégie le
côté nocturne de ses activités, la bibliophilie licencieuse dans
laquelle il reconvertit ses honoraires et droits d'auteurs.