Alexandre Sokourov, dont les films nous sont enfin parvenus à la faveur
de la perestroïka après dix ans de censure, n'a pas arrêté de tourner depuis la
fin des années 1970. Son oeuvre complexe, immense, a attiré tour à tour la
curiosité, la faveur et l'exaspération critiques. Les sorties plus récentes (Pages
cachées, Mère et fils et surtout L'arche russe) ont confirmé la présence
intriguante de ce rénovateur de formes filmiques sur la scène
cinématographique internationale. Mais il ne faudrait pas oublier l'aura
documentaire du cinéaste russe qui s'est fixé comme objectif de tourner un
cycle de vingt-cinq élégies sur les disparitions individuelles, collectives,
politiques, artistiques.
L'inspiration de ce cinéma dans la grande littérature, la musique
folklorique et la peinture romantique n'est pas un secret. Le présent ouvrage
s'approche plus précisément de la création sokourovienne en interrogeant les
logiques d'enchaînement et en s'attachant à la pensée des appareils modernes
(perspective, chambre noire, musée, photographie, cinéma). Le montage des
oeuvres connaît à la fois une imprévisibilité captivante et un mode pensable de
passage. L'enchaînement figure un enfermement dans le monde de la fiction
et dans le souvenir de l'histoire. La mémoire est ainsi constamment mise à
l'essai par des films qui puisent dans les textes littéraires et qui recyclent des
images d'archives. La poétique spatiale donne lieu à différents sens de
l'espacement : dehors inclus au-dedans, dehors vu du dedans.
A découvrir donc : le fantastique de l'intérieur, les cryptes filmiques, les
déambulations fantomatiques, les dépressions mélancoliques, l'enfermement
en plein air, l'encadrement par des paysages-tableaux, le fond imageant, la
scénographie du trauma.