Cet essai a pour ambition de revisiter la thèse de l'influence protestante
dans les débuts de la Troisième République. Il s'efforce de définir de quel
protestantisme - libéral -, et de quelle laïcité - religieuse -, il s'agit, et de
donner à comprendre ce moment particulier de l'histoire de France où le
protestantisme a pu offrir une religion et une morale à des élites nouvelles
qui ne voulaient plus du catholicisme. On rencontrera ici plus Quinet que
Michelet, plus Renouvier que Comte ou Littré, plus Buisson que Ferry.
Cette contribution à une autre histoire de l'idée républicaine met en scène
des «lieux» décisifs, l'exil en Suisse romande, le Dictionnaire de pédagogie, la
Critique philosophique, les Écoles normales supérieures de Sèvres et
Fontenay-aux-Roses, les premiers manuels d'instruction civique... Le tout a
composé une France studieuse et austère, regardant du côté de maîtres étrangers,
Suisses, Allemands ou Américains, désespérant du catholicisme mais
apprenant à lire, à méditer, à prier même, comme quelque république puritaine.
Surprenante génération, de la défaite de 1870 à l'affaire Dreyfus, avant
le retour à un face à face plus classique entre catholiques et anticléricaux.
L'ouvrage invite également à réfléchir à la manière dont une société peut
«sortir» de la religion, selon qu'elle est catholique ou protestante, et va du
côté d'une laïcité «sans Dieu» ou d'une religion civile à l'américaine. La
Troisième République des années 1880, au moins dans son école et sa
morale, a penché de ce dernier côté. Elle avait un Dieu, «protestant» ; ou
tout au moins un nouveau Port-Royal, où l'ancien pasteur Pécaut apprenait
à l'élité féminine du régime l'art de vivre, et même l'art de mourir, selon
ses mots. Une poignée d'hommes et de femmes n'ont pas craint alors de
retravailler la matière France. Nous sommes les héritiers de ce chantier
moins flamboyant, mais peut-être aussi profond que celui de la Révolution
française.