Molière n'a pas laissé de confidences. Pas une lettre, pas un mot. Il a
près de quarante ans quand il commence à faire parler de lui. Sa vie
et son oeuvre font scandale. On l'accuse de ruiner la religion, la famille,
la morale. Et d'avoir épousé la fille de sa maîtresse, - sa propre fille...
Qui ne se priverait pas de le cocufier abondamment. Ses ennemis
forgent sa légende noire, ses amis une légende dorée. Cette
biographie les replace enfin dans leur contexte. En les prenant au
sérieux, sans les tenir pour vraies, en les présentant au lecteur pour
qu'il puisse juger à son tour.
À ces légendes, il est temps de substituer l'histoire, retrouvée dans des
documents sûrs. On sait maintenant où, quand, comment, avec qui
Molière a créé l'Illustre Théâtre, et qu'on l'a jeté en prison. À la
sécurité du maître-tapissier Poquelin, il a préféré l'aventure avec la
tribu des Béjart.
On le retrouve avec eux en province, vivant à l'aise au sein d'une
troupe protégée par de grands personnages, qui tirent de leurs
fonctions dans les instances régionales des subventions et des facilités
pour les comédiens. Conti n'intervient qu'en dernier.
Grand succès pour Molière de retour à Paris. Grâce à ses propres
pièces, car ses autres créations sont des échecs. Le voilà obligé d'écrire.
À la ville, son théâtre devient malgré lui un théâtre comique, un
théâtre Molière. À la cour, il invente pour le roi des pièces à grand
spectacle. Cela diminue ses recettes, car les rires du parterre, dont les
fêtes de la cour le tiennent éloigné, rapportent plus que la faveur d'un
roi qui, finalement, privilégiera Lulli et l'opéra contre Molière et ses
comédies-ballets.
Molière a réussi. Il est riche, fêté, adulé, contesté. Il est malade.
Il meurt jeune, quasi sur la scène. Provocateur, il a suscité les passions.
C'est la première idole des temps modernes. Il en a eu la gloire et la
fragilité.