J'achète les petits tubes, mais chaque fois un seul, chaque jour quelques-uns, autant
et quand il me les faut. Je ne fais pas un pas de plus car, pour y aller, le marchand
de couleurs est juste à côté du porche de l'atelier. Madame sourit, elle me fait même
des rabais pour artiste-peintre. Aujourd'hui, au contraire, Monsieur le droguiste
me fait la tête. Me dit que j'achète en série ou rien - mais voyons ! - et des
rabais : rien. Parce que c'est plus l'air froid que je lui apporte dans la boutique -
entre et sors, toujours ici - que de l'argent. Il me regarde très amer, avec le sang aux
yeux : un beau jeu ne doit pas durer. C'est clair ? Je me sors de la boutique, dégoûté,
en claquant la porte : pas de petit tube !...
Petit tableau parisien. Montparnasse, les années 30. Le peintre Fausto
Pirandello, fils du célèbre dramaturge Luigi Pirandello, marié à l'insu de
son père, s'y est réfugié. Pour y enfanter, inventer son style, loin de la
célébrité paternelle écrasante. Il y a du Baudelaire chez Fausto. Une succession
de tableaux peints en prose. Une succession de coups de pinceaux
littéraires qui traversent sa vie et son oeuvre et rencontrent, pour
le défier par son art, rebelle et révolté, l'immense monument littéraire
dont il porte le nom. Ces «Petites impertinences» soutiennent la
confrontation majeure avec le Nom du Père.
Fausto Pirandello (1899-1975), artiste peintre italien, séjourne à
Paris, de 1928 à 1930, où naît son fils Pierluigi. Il y fréquente le milieu
artistique, en particulier Les Italiens de Paris (De Chirico, De Pisis). Il
complète sa formation au contact des oeuvres de Cézanne, Braque, Picasso,
et des Surréalistes. Il expose en 1929 à la Galerie Vildrac. Rentré
à Rome, où il vivra jusqu'à sa mort, il sera reconnu comme l'un des
principaux peintres prônant une réalité ni abstraite ni figurative, mais
résultat d'une invention à chaque fois subjective.