De l'indépendance de la Birmanie, en 1948, à la signature
des traités de cessez-le-feu au milieu des années 1990, les
Kachin, à l'instar de l'ensemble des minorités opposées à la
junte birmane, ont été entraînés dans quelque cinq décennies
de guerre civile - avec son lot de déportations, de massacres
et de tortures.
Au sortir de ces années de conflit, le mouvement pan-Kachin
a perdu en temps de paix les repères qu'il s'était
artificiellement forgés en temps de guerre. Emportées par
l'ivresse de la métamorphose, les élites chrétiennes marquèrent tout d'abord une
rupture avec le passé avant de revisiter le fonds mythique et de se façonner, dans
l'urgence, de nouvelles racines appropriées à la construction identitaire en cours.
Tel qu'il émerge actuellement, le mouvement pan-Kachin s'est pourvu d'un
cadre multiethnique et multiconfessionnel sans que la trame de fond ne réussisse
encore sur cette base à produire un tableau cohérent ; le pouvoir central birman
fait de cette même approche catégorielle un facteur de division et de faiblesse.
Dans un tel contexte, le processus de recomposition sociale drastique dans lequel
sont engagés les Kachin est à la hauteur de l'enjeu : émerger en tant que force
unifiée ou s'évanouir dans le processus de birmanisation.
À la question existentielle : renaissance ou secondes funérailles ? les élites
s'efforcent d'apporter des éléments de réponse dans la logique nationaliste qui
est la leur. Le postulat défendu ici est différent : dès lors que les catégories ethniques
ne sont pas considérées comme point d'analyse focal, les réseaux
d'échanges apparaissent comme autant de zones d'articulation susceptibles
d'apporter leur cohérence à des ensembles multiethniques complexes.
Au-delà de la seule étude de cas, l'angle d'approche consiste à porter l'intérêt
sur un espace transethnique dans lequel le paysage social puise localement sa
cohérence, plutôt que sur des unités discrètes sans prise directe avec la dynamique
relationnelle ; l'ouvrage se dote par ailleurs d'une réflexion de portée
théorique plus globale où le changement social s'articule dans le rapport christianisme
et nationalisme.