L'histoire est toujours faite au vif des acteurs,
par plongées dans leur individualité et parfois
leur intimité. Les dossiers de personnalité,
extraits de l'univers judiciaire et pénitentiaire,
aiguisent encore la part d'effraction de
cette exploration. Car des vies s'y racontent,
ou sont racontées, par des experts soucieux
de toucher au coeur de l'individu, déterminés
à l'analyser, à le commenter, à le dévoiler,
pour l'absoudre ou le condamner. Prendre
ces dossiers comme sources pour l'historien
suppose donc, comme toujours dans ce métier
et peut-être ici davantage encore, une
éthique de la discipline historique. L'enjeu
s'en révèle décisif. En effet, il en va de ce
que la pratique pénale et le monde carcéral
font de la personne du justiciable. Il relève de
cette question lancinante dont les réponses
ont varié avec le temps : la justice doit-elle tenir
stricte balance entre la peine et le délit, ou
bien la sanction vaut-elle d'être adaptée au
sujet qui la subit ? C'est là un sujet de controverses,
qu'il y a lieu d'étudier dans leur virulence
et parfois leur violence. Partant, il s'agit
aussi de penser à ce que l'observation fait
des observés, à ce qu'elle fait aux observés.
Arc-boutés à la conviction de mesurer scientifiquement
la personnalité des individus ainsi
scrutés, médecins, psychologues, éducateurs
et magistrats finissent par les enfermer, au
coeur de leurs dossiers, dans des catégories
souvent figées qui déterminent à leur tour le
destin de la personne jugée. Cet étiquetage
mérite qu'on s'y arrête en historiens, mais
aussi que son analyse soit partagée, dans une
perspective interdisciplinaire. Tel est le dessein
de cet ouvrage.