La fin de la journée arriva très vite. Au gré des retours de balades,
je découvrais de nouvelles têtes. La maison se transforma bientôt
en une immense fourmilière avec des tas d'enfants qui surgissaient
d'un peu partout. Il y avait des grands (très grands !) des petits (très
petits !) des Arabes, des Antillais, des Ch'timis, des Normands, des
Alsaciens, des Auvergnats, toutes les représentations régionales, des
bruns, des blonds et même quelques roux...
Quand vint le moment du repas une sonnerie résonna dans les
couloirs et une queue plus ou moins disciplinée se forma dans
l'étroit escalier qui descendait au réfectoire. Bernard, un des
moniteurs, me demanda de rester à côté de lui. À son signal, tous les
enfants s'installèrent bruyamment sur leur chaise, dans l'immense
salle où s'alignait une quinzaine de grandes tables en formica
blanc. Bernard rétablit le silence. Debout à ses côtés, je restai aussi
immobile qu'une statue, pétrifié. D'un seul mouvement, quatre-vingt-dix
paires d'yeux avaient convergé vers moi dans un léger
murmure : «un nouveau... c'est un nouveau...»
J'aurais donné n'importe quoi pour être transporté au pied de
l'abricotier du jardin de mes parents.